Avis du comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins relatif à la maîtrise de la diffusion des entérocoques résistants aux glycopeptides dans les établissements de santé français adopté le 6 octobre 2005

NOR :  SANP0530405V

    Considérant d’une part que :
    1.  Aux Etats-Unis, la première description de souches d’entérocoques résistant à la vancomycine (ERV) en 1989-90 a été suivie d’une diffusion continue de cette résistance depuis 1997 [1] ayant abouti à une situation endémique dans les hôpitaux avec une proportion de souches résistantes à la vancomycine de l’ordre de 25-30 % en 2003 ; aux Etats-Unis, l’échec du contrôle des ERV est attribué à la diffusion trop tardive de recommandations, pourtant jugées efficaces, et à la difficulté de les appliquer uniformément dans tous les établissements [2] ;
    2.  En France la proportion de souches d’entérocoques résistant aux glycopeptides (vancomycine et teicoplanine) était stable jusqu’en 2003, comprise entre 1 et 2 % chez E. faecium et < 0,5 % chez E. faecalis. On assiste depuis à une augmentation du taux de résistance aux glycopeptides chez E. faecium (>5 %) [3] et du nombre de signalements d’ERV, dont des cas groupés d’infections et de colonisations de plus en plus nombreux, avec des épidémies d’ampleur inhabituelle récemment rapportées dans plusieurs établissements de santé [4] ;
    3.  Alors que E. faecalis représente 85 à 95 % des isolats d’entérocoques, le phénomène de résistance acquise aux glycopeptides concerne essentiellement l’espèce E. faecium et le mécanisme de résistance van A (résistance de haut niveau à la vancomycine et la teicoplanine) ;
    4.  Ces épisodes sont dus à la diffusion de souches sur un mode épidémique, mais dont la clonalité est différente d’un établissement à l’autre ;
    5.  L’incidence élevée des SARM en France, responsable d’une utilisation intensive des glycopeptides favorisant l’émergence des ERV, a comme conséquence le risque d’apparition de SARM résistants aux glycopeptides par transfert de résistance van A à partir des ERV, phénomène déjà observé aux Etats-Unis [5-7] ;
    Considérant d’autre part que :
    6.  Cette résistance s’associe à une incidence accrue des infections nosocomiales à entérocoques et a un impact non négligeable en termes de morbidité et de mortalité chez les patients bactériémiques, avec une plus grande probabilité de rechute des infections, une augmentation de la durée de séjour et des coûts d’hospitalisation, avec une mortalité attribuable comprise entre 17 et 30 % selon les études [8] ;
    7.  Les facteurs de risque identifiés d’acquisition sont ceux habituellement reconnus : proximité avec un patient porteur ; administration préalable d’une antibiothérapie (céphalosporines de 3e génération, vancomycine, imipénème, anti-anaérobies) ; présence d’un cathéter central, d’une sonde urinaire, d’une insuffisance rénale ; durée de séjour prolongée, hospitalisations multiples ; patients âgés ou atteints de pathologies lourdes (transplantés, hémodialysés, etc.) [9, 10] ;
    8.  Les patients les plus à risque de développer une infection à ERV sont hospitalisés en hémodialyse, en unités de réanimation et de soins intensifs, en hémato-cancérologie, en gastro-entérologie, ou ont subi une transplantation ou une autre intervention chirurgicale majeure ;
    Considérant également que :
    9.  La transmission des entérocoques en général se fait par les mains, le matériel, et l’environnement, et est facilitée par la diarrhée, l’incontinence fécale, et les suppurations ;
    10.  L’épidémiologie des ERV est proche de celle des autres BMR (SARM notamment) par son caractère manuporté, le rôle important de la pression de sélection par certains antibiotiques, et en diffère par le ratio colonisés/infectés élevé ;
    11.  Le portage digestif des ERV peut être discontinu et parfois prolongé plusieurs mois, voire plusieurs années ;
    12.  Le transfert de patients infectés ou colonisés ou leur réadmission est un facteur d’amplification de l’épidémie ;
    13.  Les différentes stratégies de contrôle d’une épidémie à ERV mises en oeuvre dans les établissements montrent qu’elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont appliquées de manière stricte et précoce, avant la constitution d’un réservoir de patients porteurs dans de nombreux services ; une intervention très rapide de type recherche active et isolement reste un facteur clef de succès, sur le modèle des enquêtes en cercles concentriques propres aux investigations de cas groupés de bactéries multirésistantes.
    Considérant enfin que :
    14.  La détection des souches de E. faecium de type van A ne pose pas de difficultés techniques pour les laboratoires ; la résistance conférée étant de haut niveau, la détermination des CMI n’est pas nécessaire ;
    15.  Le signalement rapide des infections nosocomiales (décret du 26 juillet 2001) reste l’outil le plus adapté en termes de vigilance et d’alerte ;
    16.  Les recommandations pour la maîtrise des bactéries multirésistantes (CTIN, 1999) restent entièrement d’actualité et efficaces pour la prévention et le contrôle des ERV et doivent être appliquées de manière stricte ;
    17.  La faible virulence habituelle des souches d’ERV explique que la grande majorité des patients porteurs ne sont que colonisés, et que de nombreux patients peuvent guérir sans antibiothérapie [11,12] ;
    18.  La décontamination digestive sélective n’a pas été évaluée pour les ERV, et, pour les autres BMR, elle s’est avérée jusqu’à présent inefficace, voire à risque.
    Le CTINILS recommande :
    D’une part, en l’absence de cas groupés d’infection ou colonisation :
    1.  De mettre en place dans tous les établissements de santé un système de surveillance et d’alerte des équipes opérationnelles d’hygiène et des CLINS à partir du laboratoire de bactériologie, concernant l’ensemble des prélèvements à visée diagnostique et de dépistage identifiant un ERV, ciblés en priorité sur les services semblant jusqu’à présent les plus à risque (néphrologie, hémodialyse, transplantation, réanimation chirurgicale et hémato-cancérologie) ;
    2.  De signaler systématiquement et sans délai au CClin et à la Ddass tout cas identifié d’infection ou colonisation à ERV, au titre d’une résistance « rare ou particulière » ;
    3.  De mettre en place des précautions contact, comprenant la chambre individuelle, pour le patient infecté ou colonisé ;
    4.  De réaliser un bionettoyage quotidien de l’environnement proche du patient infecté/colonisé selon les procédures habituelles de l’établissement de santé ;
    5.  De rechercher systématiquement un portage dans les selles chez les patients contact d’un cas identifié, c’est-à-dire les patients pris en charge dans la même unité ;
    6.  D’informer les professionnels de santé des structures d’aval (établissements de santé et autres) en cas de transfert, d’informer le patient de son statut au regard d’ERV et de le sensibiliser à l’importance de signaler ce portage lors d’une réadmission ;
    7.  De renforcer l’hygiène des mains par l’utilisation des produits hydro-alcooliques dans l’ensemble des établissements de santé, et notamment dans les services identifiés à plus haut risque ;
    8.  De mettre en place dès à présent, en lien avec la Commission des antibiotiques et le(s) référent(s) antibiotiques des établissements, et dans le cas où ceux-ci ne sont pas encore mis en place, le comité des médicaments et des dispositifs médicaux stériles, une politique de restriction raisonnée et efficace portant prioritairement sur l’usage des glycopeptides (vancomycine et teicoplanine), mais également sur l’usage des céphalosporines de 3e génération, de l’imipénème, des anti-anaérobies, évaluée entre autres par le suivi de l’indicateur de consommation de ces antibiotiques, exprimé en doses définies journalières pour 1 000 journées d’hospitalisation, globalement dans l’établissement, et spécifiquement dans les services à plus haut risque.
    D’autre part, en présence de cas groupés d’infection ou colonisation :
    9.  De signaler systématiquement et sans délai au CClin et à la Ddass les cas groupés d’infections et colonisations à ERV ;
    10.  De transmettre à partir du laboratoire toutes les souches d’ERV responsables d’infection au CNR « Mécanismes de résistance aux antibiotiques » pour complément d’expertise ;
    11.  D’identifier les patients et services à risque afin de mettre en place un dépistage systématique de l’ERV à l’admission (réanimation, hémodialyse, néphrologie, transplantation, hématologie, chirurgie lourde thoracique et abdominale) et hebdomadaire (réanimation) par écouvillonnage rectal ;
    12.  D’identifier les réadmissions des patients porteurs connus et les isoler ; de dépister systématiquement les patients réadmis dont le statut vis-à-vis du portage d’ERV est inconnu, et les isoler jusqu’à obtention du résultat du dépistage ;
    13.  De mettre en place ou de renforcer les mesures de contrôle autour d’un cas, basées sur les recommandations pour la maîtrise des bactéries multirésistantes (BMR) ;
    14.  Précautions standard complétées systématiquement par les précautions contact ;
    15.  Utilisation large des produits hydro-alcooliques dans le cadre de la friction hygiénique des mains ;
    16.  Isolement en chambre individuelle des patients identifiés ou regroupement et sectorisation des patients en fonction du nombre de cas identifiés ;
    17.  Réorganisation des soins avec sectorisation des personnels paramédicaux  ;
    18.  Bionettoyage quotidien de l’environnement proche des patients infectés/colonisés selon les procédures habituelles de l’établissement de santé ;
    19.  Recherche systématique de portage dans les selles chez les patients contact d’un cas identifié, c’est-à-dire les patients pris en charge dans la même unité ;
    20.  Signalisation des patients porteurs, y compris en cas de prise en charge sur des plateaux techniques ;
    21.  Formation renforcée aux précautions standard et contact du personnel en charge des transferts (brancardiers, ambulanciers) ;
    22.  Réduction du nombre des admissions dans les services touchés ;
    23.  Evaluation du strict respect de ces mesures ;
    24.  De prendre en compte la dimension régionale de la gestion de l’épidémie par un suivi coordonné de la situation épidémique des établissements (rôle des antennes régionales des Cclin, en lien avec les DDASS, DRASS et ARH) ;
    25.  De limiter au maximum les transferts des patients infectés/colonisés à haut risque de dissémination (lésions cutanées étendues colonisées, diarrhée,...), d’informer l’établissement d’aval, de s’assurer de la connaissance des procédures de prévention de la transmission ;
    26.  De restreindre au minimum, en lien avec la Commission des antibiotiques et le(s) référent(s) antibiotiques des établissements, l’usage des glycopeptides (vancomycine et teicoplanine), des céphalosporines de 3e génération, de l’imipénème, des anti-anaérobies.
    Dans tous les cas :
    27.  De débuter un traitement antibiotique uniquement sur des arguments objectifs d’infection clinique à ERV.
    Cet avis ne peut être diffusé que dans son intégralité sans suppression ni ajout.

Références

    [1] NNIS report, 2004.
    [2] Mc Gowan JE. Debate : « Guidelines for control of glycopeptide-resistant enterococci (GRE) have not yet worked ». J Hosp Infect 2004 ; 57 :281-4.
    [3] Données 2004. http ://www.earss.rivm.nl/PAGINA/interwebsite/home_earss.html ; « European Antimicrobial Résistance Surveillance System (EARSS). Données 2004. Données françaises des réseaux ONERBA Azay-Resistance, ColBVH, Ile-de-France et Réussir ».
    [4] R. Leclercq et coll. Les entérocoques résistants à la vancomycine : situation en France en 2005, BEH octobre 2005, à paraître.
    [5] CDC. « Staphylococcus aureus resistant to vancomycin » - United States, 2002. MMWR. 2002 ; 51 :565-7 http ://www.cdc.gov/mmwr/PDF/wk/mm5126.pdf.
    [6] CDC. « Vancomycin-resistant Staphylococcus aureus » - Pennsylvania, 2002. MMWR. 2002 ; 51 :902 http ://www.cdc.gov/mmwr/PDF/wk/mm5140.pdf.
    [7] CDC. « Vancomycin-resistant Staphylococcus aureus » - New York, 2004. MMWR. 2004 ; 53 :322-3 http ://www.cdc.gov/mmwr/PDF/wk/mm5315.pdf.
    [8] Salgado CD, Farr BM. « Outcomes associated with vancomycine-resistant enterococci : a meta-analysis. » Infect Control Hosp Epidemiol 2003 ; 24 :690-8.
    [9] Edmond MB, Ober JF, Weinbaum DL, Pfaller MA, Hwang T, Sanford MD, Wenzel RP. : « Vancomycin-resistant Enterococcus faecium bacteremia : risk factors for infection. » Clin Infect Dis 1995 ; 20 :1126-33.
    [10] Rice LB. Emergence of vancomycin-resistant enterococci. Emerg Infect Dis 2001 ; 2 :183-7.
    [11] Quale J., Landman D., Atwood E., Kreiswirth B., Willey BM, Ditore V., Zaman M., Patel K., Saurina G., Huang W., Oydna E., Burney S. Experience with a hospital-wide outbreak of vancomycin-resistant enterococci. Am J Infect Control 1996 ; 5 : 372-9.
    [12] Huycke MM, Sahm DF, Gilmore MS. Multiple-drug resistant enterococci : the nature of the problem and an agenda for the future. Emerg Infect Dis 1998 ; 2 : 239-49.